Les exercices manuels du « Professeur Dicksonn », Paul-Alfred de Saint-Genois de Grand-Breucq (1857-1939) – Hadrien Viraben

La physiognomonie, jadis pratiquée avec assiduité par les maîtres, eût gagné à s’enrichir d’un chapitre des mains. La face humaine est surtout un composé d’organes récepteurs. La main est action : elle prend, elle crée, et parfois on dirait qu’elle pense. Au repos, ce n’est pas un outil sans âme, abandonné sur la table ou pendant le long du corps : l’habitude, l’instinct et la volonté de l’action méditent en elle, et il ne faut pas un long exercice pour deviner le geste qu’elle va faire.

Henri Focillon, Éloge de la main, 1943

Le manuel d’amateur prend bien souvent pour ambition d’inculquer un savoir-faire pratique, au moyen d’indications et de conseils. À cet égard, il s’oppose explicitement à la leçon de connaissances dites théoriques, savantes, hermétiques ou encore professionnelles, domaine que le manuel se garde volontairement d’explorer. La manipulation, la préhension concrète de l’objet et l’expérimentation, est sa pédagogie, illustrée par un vivier d’images montrant des mains coupées en action. L’adresse des mains, développée par l’entraînement, apparaît également dans le cadre de la formation des amateurs comme une compétence horizontale, capable d’être transférée à d’autres occupations, professionnelles ou ordinaires.

C’est précisément à un entraînement de la main qu’est consacrée la préface aux Amusements de la science, rédigée en 1905 par le professeur Dicksonn, de son vrai nom Paul-Alfred de Saint-Genois de Grand-Breucq (1857-1939).

Ce texte prend la forme d’une lettre adressée à l’auteur de l’ouvrage, Benjamin Renaudet. Ce dernier fut un écrivain prolifique ayant signé à partir de 1905, sous le pseudonyme de G.-B. de Savigny, plusieurs livres de recettes et des règles de jeux de cartes, pour le compte de la Librairie des publications populaires, avant d’élargir ses intérêts, chez d’autres éditeurs, à l’économie domestique et à la colombophilie.

Les Amusements de la science de Renaudet réunissent quant à eux une série d’« expériences faciles et à la portée de tous », classée selon trois disciplines scientifiques (physique, chimie et mathématiques), et augmentée par une seconde série de « travaux d’amateur ». Le recueil s’apparente ainsi aux fameuses « récréations scientifiques »de Gaston Tissandier, dont il cherche manifestement à capter le succès. Les manipulations proposées évoquent aussi de petits tours de magie exécutés par l’amateur, ce que confirme le choix de confier la préface à Dicksonn, célèbre prestidigitateur. L’inclusion finale des « travaux d’amateur », formule qui désigne alors des activités manuelles créatives proches du bricolage, achève de situer l’ouvrage à la confluence d’une typologie de manuels, où l’éducation de la main de l’amateur tient toujours une place centrale.

De nationalité belge, issue d’une ancienne famille de la noblesse du Hainaut, Paul-Alfred de Saint-Genois de Grand-Breucq naît à Avesnelles (Nord), le 4 octobre 1857, de père inconnu, comme ses deux frères. Installé à Paris, Saint-Genois entame une carrière d’homme de spectacles au théâtre Robert-Houdin, dont il devient le directeur en s’associant avec la veuve d’Émile Robert-Houdin, fils du célèbre prestidigitateur. En 1888, il ouvre son propre théâtre, sis passage de l’Opéra. À l’instar de Robert-Houdin, Saint-Genois se prête par son pseudonyme, « professeur Dicksonn », une identité d’homme de sciences, et, après s’être retiré à Asnières, il continuera de se faire connaître comme un adversaire du spiritisme en tant qu’« exploitation de la crédulité publique ».

Dans sa préface aux Amusements de la science, Saint-Genois loue Renaudet pour avoir surenchéri dans la praticité des indications fournies, avant de s’étonner : « pourquoi n’avez-vous pas parlé des mains ? ». Sa lettre se transforme alors en recommandations pour le lecteur, destinées à accroître l’agilité manuelle par une série d’exercices pouvant être réalisés à tout moment de la journée : « Nul besoin de prendre une heure spéciale pour cela ; on peut s’exercer en se promenant, en voiture, n’importe où, sans qu’il y paraisse. » Il promet ainsi des « résultats remarquables » « en cinq ou six jours, pour les doigts agiles, en quelques semaines pour les autres ».

Cet entraînement consiste à parfaire la flexibilité de chacun des doigts, par des exercices d’extension répétés, quitte à maintenir l’écartement digital au maximum à l’aide d’une planchette. Une souplesse optimale doit être acquise pour chaque doigt, dans toutes les directions, et en variant la position du bras. Le maître mot de ce conditionnement physique est la répétition et la régularité : « Enfin, lorsque les deux mains seront habituées à faire mouvoir les doigts, seul à seul, dans tous les sens, il ne faudra pas oublier l’entraînement de temps en temps, car tout exercice du corps longtemps négligé nous devient presque aussi étranger que si on ne l’avait jamais pratiqué. »

En préambule ainsi à des expériences scientifiques amusantes et autres activités manuelles, Saint-Genois livre une éducation physique de la main, afin d’acquérir la meilleure dextérité pour réaliser les occupations proposées. Or, l’entretien en continu de l’habileté manuelle relie de fait les domaines les plus divers des pratiques amateurs, ce que Saint-Genois souligne en introduisant ses exercices : « La vieille expression : “Il ne sait pas se servir de ses mains !…” devrait être oubliée à notre époque de sports et d’exercices physiques ; cependant, à part ceux dont les doigts sont habitués à un travail délicat ou dont le piano et le violon ont délié les articulations, bien peu sont véritablement adroits de leurs mains. »

Centre de gravité des pratiques amateurs, la main apparaît ici comme une interface entre plusieurs sphères d’activités, et comme si la mobilité imprimée par l’une d’elles pouvait être directement réinvestie dans une autre.

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