L’amateur, l’antiquaire et le brocanteur – Hadrien Viraben
Publié en 1920, le Manuel du brocanteur, de l’antiquaire et de l’amateur de Léon Sentupery inscrit l’amateur au sein d’une triangulation originale où, aux côtés des marchands d’œuvres d’art et d’antiquités, il côtoie également un secteur bien moins prestigieux du marché de seconde main, celui du brocantage. Amateur, antiquaire et brocanteur partent ainsi ensemble à la « chasse aux vieux objets et aux antiquités », une chasse où collectionner rime avec chiner et vendre avec brocanter. Cette intrusion du brocanteur et son rapprochement avec l’amateur invitent aussi en relief l’extension d’un réseau d’activités de récupération, de recyclage et de bricolage.
Dans l’introduction de son manuel, Sentupery se fait un adepte des classifications typologiques, en proposant en premier lieu un inventaire des métiers rassemblés par cet autre monde professionnel de la collecte d’objets ayant déjà servi.
Du brocanteur, au sens particulier de marchand ambulant ou en boutique d’objets de seconde main ou neufs mais défraîchis, Sentupery distingue par exemple le marchand de bric-à-brac qui opère « en plein vent ». Il évoque également le trio formé par le marchand d’habits, la marchande de toilettes, et le fripier, fournisseur des deux premiers. D’autres revendeurs spécialisés sont cités à la suite : le bouquiniste, le ferrailleur, le chiffonnier (chineur ambulant, biffin, marchand chiffonnier, négociant ou marchand de chiffons en gros) et l’antiquaire, spécialisé dans la vente d’objets ayant un côté artistique ou curieux et « une valeur réelle ».
« Étalage de Fripier au Marché du Temple (d’après l’Illustration) », illustration extraite de L. Sentupery, Manuel du brocanteur…, 1920. 
« Le Chiffonnier de la rue Saint-Vincent, par Fernand Maissen », illustration extraite de L. Sentupery, Manuel du brocanteur…, 1920. 
« Le Bouquiniste, par Gavarni », illustration extraite de L. Sentupery, Manuel du brocanteur…, 1920.
L’ambition de cet examen attentif des marges du commerce est de souligner selon l’auteur la modernisation du brocantage, qui accompagne l’évolution de son encadrement législatif. Les divers revendeurs élevés au rang de professionnels spécialisés font en effet figure, pour Sentupery, de connaisseurs avertis d’une économie extrêmement large des cours et des valeurs des objets les plus variés, appelés à passer entre ses mains.
Brocanteur, antiquaire et amateur se partagent ainsi un savoir théorique, celui de l’histoire et de l’histoire de l’art, mais également certaines règles d’un savoir-faire, que Sentupery résume en quelques conseils : « ne jetez rien ; classez ; conservez ; attendez l’occasion » ; « gare au truquage, aux imitations, et aux contrefaçons » ; « s’assurer de la provenance exacte des objets historiques ».
À la typologie des acteurs de cette économie de la récupération, viennent dès lors s’ajouter deux typologies d’objets, appelées à se recouper : l’une composée des objets courants les plus divers considérés pour eux-mêmes ou comme matière première, et qui occupe plus spécialement les brocanteurs ; l’autre, qui intéresse plutôt les collectionneurs.
Cette seconde liste, classée alphabétiquement, permet ainsi à l’historien de l’amateurisme de prendre connaissance, à travers les yeux de Sentupery, de l’extension du territoire des curiosités plus ou moins spécifiques et de son inscription dans un monde également diversifié de professionnels : affiches ; almanachs ; amulettes ; antiquités gauloises ; antiquités préhistoriques ; armes ; armures ; assiettes ; autographes ; bagues ; bassinoires ; bijoux ; boiseries ; bonbonnières ; boucles de souliers ; boutons ; bracelets ; cadres ; cannes ; caricatures ; cartes à jouer ; cartes de visite ; céramiques ; chaises à porteurs ; clefs ; cloches ; coqs de montres ; costumes ; daguerréotypes ; décorations ; dentelles ; dessins ; objets dorés ; émaux ; éperons ; ex-libris ; faïence ; fibules ; gravures ; grès ; heurtoirs ; images ; imprimés divers ; insignes ; ivoires ; journaux ; lampes ; livres ; lutrins ; mains de commode ; majoliques ; marques postales ; marqueteries ; meubles ; objets militaires ; miniatures ; gravures de mode ; monnaies et médailles ; montres ; mortiers ; mosaïques ; mouchettes ; morceaux de musique ; objets d’art ; ombrelles ; objets d’or et argent ; vieux papiers ; peintures ; photographies ; pierres précieuses ; pipes ; porcelaines ; poteries ; râpes à tabac ; rouets ; sculptures ; serrures ; soies ; sonnettes ; tabatières ; tabletterie ; tapisseries ; timbres ; toiles de Jouy ; verrerie ; vêtements sacerdotaux ; vitraux.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
viraben (25 mai 2021). L’amateur, l’antiquaire et le brocanteur – Hadrien Viraben. Amateurs en sciences (France, 1850-1950) : une histoire par en bas. Consulté le 3 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/b4aa
