Zacharie Le Rouzic (1864-1939) et Charles Keller (1843-1913), un archéologue et son mécène – Nathalie Richard
Une mission effectuée à Carnac au début du mois de juillet 2019 m’a permis de consulter la correspondance entre le préhistorien Zacharie Le Rouzic et Charles Keller, conservée dans les archives familiales.
Zacharie Le Rouzic a joué un rôle important dans le développement de l’archéologie préhistorique à Carnac des années 1890 à sa mort. Fils d’un chiffonnier, dernier de huit enfants, il reçoit une éducation primaire qui lui permet de savoir lire et écrire. Son entrée dans le monde de l’archéologie est liée à la rencontre d’un riche amateur écossais, James Miln, qui l’emploie pour porter son matériel puis pour l’aider dans les fouilles qu’il réalise sur les sites gallo-romains et mégalithiques de la région. À la mort de l’archéologue, le frère de Miln lègue à la municipalité sa collection et des fonds pour construire un bâtiment. Le Rouzic devient le gardien du Musée Miln à son ouverture en 1882 et sa carrière d’archéologue est étroitement liée à ce musée. Accueillant les visiteurs, il entre en contact avec de nombreux amateurs d’archéologie, plus fortunés et plus savants que lui, pour lesquels sa connaissance des collections et des sites locaux est précieuse. Après 1890, Le Rouzic entreprend ses propres fouilles et l’une d’entre elles assoit sa réputation savante. Autorisée par la Sous-commission des monuments mégalithiques, cette fouille de grande ampleur débute en 1900 dans le tumulus qui domine le village de Carnac, le Mont-Saint-Michel, et se poursuit par intermittence pendant plusieurs années. Le Rouzic intègre alors la Sous-commission et change de statut. En 1910, il est promu de simple gardien à conservateur du musée. Il fait don de sa collection archéologique en 1926 et le musée (Musée de Préhistoire James Miln – Zacharie Le Rouzic) porte désormais les deux noms de ses principaux donateurs.
Les archives conservées au musée et celles qui sont détenues par la famille (cf. Gérard Bailloud, Gwenaëlle Wilhelm-Bailloud, Zacharie Le Rouzic, archéologue et photographe à Carnac, Carnac, Blanc et noir, 2014) permettent de documenter cette trajectoire exceptionnelle. Elles fournissent notamment des informations sur le rôle crucial joué par un mécène dans la carrière de Le Rouzic. Issu d’une famille très modeste, ce dernier ne peut en effet financer lui-même ses fouilles et il fait appel à la générosité de visiteurs rencontrés au musée. En mai 1900, il sollicite par exemple de riches Bostoniennes afin de réunir des fonds supplémentaires pour la fouille du Mont-Saint-Michel. Son principal sponsor est toutefois Charles Keller.
Dans le registre des visiteurs du musée, le nom de Keller apparaît pour la première fois le 31 août 1895 et la correspondance entre le gardien du musée Miln et l’amateur, conservée dans les archives familiales, débute au printemps 1897. Elle se poursuit, de plus en plus fréquente et amicale, jusqu’à la mort de Keller en 1913. Dès 1897, Keller accorde chaque année des subventions à Le Rouzic afin qu’il réalise ses excavations, il lui fait aussi envoyer des ouvrages sur la préhistoire et sur la politique. En 1900, il est le principal financeur de la fouille du Mont-Saint-Michel. Devenu propriétaire d’une villa à Carnac, Keller se joint aux recherches durant l’été. En 1910, il subventionne l’aménagement d’une nouvelle salle destinée aux moulages dans le Musée Miln.
La personne de Charles Keller est tout aussi intéressante que celle de Le Rouzic dans une histoire des amateurs en sciences. Issu d’une famille bourgeoise, ingénieur de formation, il se lie à la fin des années 1860 aux courants anarchistes, notamment à Élie et Élisée Reclus, et appartient à la mouvance bakouniniste qui fait scission de l’Internationale ouvrière. Il combat aux côtés des communards en mai 1871, et réussit à se réfugier à Bâle après avoir été blessé. Après l’amnistie des communards, il s’installe à Nancy, où il dirige une entreprise. Il y finance la construction d’une Maison du peuple et contribue à fonder l’Université populaire qu’elle héberge. Le Dictionnaire des anarchistes du Maitron lui consacre une notice.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
viraben (27 août 2019). Zacharie Le Rouzic (1864-1939) et Charles Keller (1843-1913), un archéologue et son mécène – Nathalie Richard. Amateurs en sciences (France, 1850-1950) : une histoire par en bas. Consulté le 7 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/b46q



