Entretien : David Aubin

David Aubin est professeur en histoire des sciences à Sorbonne Université et chercheur dans l’équipe d’histoire des sciences mathématiques à l’Institut de mathématiques de Jussieu-Paris rive gauche ; il est membre du projet ANR Amateurs.

Quels ont été votre parcours et vos thématiques de recherche ?

Après des études de physique et de mathématiques, je me suis orienté vers l’histoire des sciences au niveau du master et du doctorat. En 1997, j’ai soutenu une thèse à l’université de Princeton aux États-Unis sur l’histoire des théories des catastrophes et du chaos. Par la suite, j’ai réalisé plusieurs postdoctorats à Paris et Berlin, avant d’être nommé au poste que j’occupe actuellement, d’abord comme maître de conférences puis comme professeur en histoire des sciences à l’université Pierre et Marie Curie, aujourd’hui Sorbonne Université.

Une grande partie de mes recherches ont concerné l’histoire des mathématiques en guerre et celle des mathématiciens pendant la guerre, en particulier durant la Première Guerre mondiale.

J’ai aussi beaucoup travaillé sur ce que j’ai appelé les sciences de l’observatoire, c’est-à-dire sur un ensemble cohérent de pratiques et de techniques qui ont émergé dans les observatoires. En ayant pour centre de gravité le xix^e siècle, j’ai essayé de voir ce qui se produisait dans ces espaces, en m’occupant de toute sorte de techniques, mathématiques, matérielles, instrumentales, observationnelles ou sociales, qui sont caractéristiques de ces lieux. Il s’agissait de mieux comprendre la cohérence de ces activités multiples au sein d’un même espace.

Ces deux domaines de recherche, science et guerre, sciences de l’observatoire, ont attiré mon attention pour deux raisons principales. La première est la grande disponibilité des sources d’archives, de natures assez diverses, au plus près de la production des acteurs. Le deuxième point est mon intérêt pour les interactions entre science et société et pour la place de la science dans la culture. À cet égard, l’observatoire et le domaine militaire se sont révélés des terrains très propices pour étudier ces questions.

Comment ce domaine d’étude en est-il venu à croiser la figure de l’amateur ?

C’est principalement le projet sur les observatoires qui m’a amené à m’intéresser aux amateurs, quoiqu’il soit possible d’aborder sous cet angle les relations entre mathématiques et guerre. Lorsque j’ai travaillé sur les techniques de l’observatoire, j’ai envisagé également leur circulation hors de ces espaces, dans d’autres cadres, comme celui de l’armée, de l’État ou de l’industrie, mais aussi auprès d’un public plus large.

Encore une fois, j’ai circonscrit mes recherches à un long xix^e siècle, compris entre le calcul du méridien de 1793 par deux astronomes, Delambre et Méchain, et l’omniprésence, un siècle plus tard, de ce type de mesure sur le terrain durant la Première Guerre mondiale. Cette familiarisation avec les techniques de l’observatoire a été produite par plusieurs biais, tel l’apprentissage, mais également par les amateurs. Elle est aussi plus large puisqu’elle englobe des pratiques occasionnelles, qu’il est plus difficile de qualifier d’amateurs.

Sur ce dernier point, je me suis par exemple intéressé aux montreurs de télescopes à Paris au xix^e siècle. Il s’agit de personnes installées dans différents lieux de la capitale et proposant aux passants contre quelques sous d’observer la Lune ou les planètes, tout en tenant un discours sur ce qu’ils voient. J’ai étudié l’implantation géographique de ces montreurs de télescopes, leur pratique, leur commerce et la perception générale de ce type d’activité dans la culture parisienne de l’époque. J’ai voulu ainsi montrer le changement qui s’opère entre le milieu du siècle, quand cette activité est encore considérée comme un pur divertissement, et un peu plus tard le moment où elle devient un moyen légitime de s’intéresser aux sciences, de s’approprier à des degrés divers les pratiques scientifiques, et même de poser un regard critique sur la science.

Quels seront vos chantiers de recherche dans le cadre de l’ANR AmateurS ?

Dans le cadre de l’ANR, l’un de mes projets actuels est d’écrire un livre sur les pratiques publiques d’observations astronomiques, en replaçant celles-ci au sein de la culture populaire, essentiellement parisienne, du xix^e siècle. Je m’intéresse en vérité aux différentes phases de cette histoire, qui comprend à la fois l’observation directe du ciel, mais aussi celle de modèles astronomiques.

Il s’agit là de pratiques qui peuvent être qualifiées d’amateurs dans le sens où elles ne sont pas le fait de professionnels, mais qui n’impliquent pas nécessairement le degré d’investissement généralement attribué à l’amateur, dont l’engagement est relativement plus important et sur le long terme. Sans la recouper entièrement, ce récit croise donc l’histoire des amateurs autour de certaines de ses figures, et intègre d’autres personnages, tels les montreurs de télescopes, qui tirent leur gagne-pain de leur activité astronomique, sans être bien sûr des scientifiques professionnels.

Du point de vue des sources, la presse garde en grande partie la mémoire de ces activités et spectacles publics ; et il existe également des brochures publiées par les acteurs ou autour d’eux. Par ailleurs, il est aussi possible de travailler à partir de correspondances avec les institutions officielles de la science astronomique, l’Observatoire ou le Bureau des longitudes. Enfin, j’aimerais encore retrouver d’éventuelles traces aux archives de la préfecture de police, dans la mesure où ce type d’attroupements nocturnes, organisés par des populations marginales considérées comme saltimbanques ou vagabonds, ont pu faire l’objet d’une surveillance.

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