Entretien : Hadrien Viraben

Hadrien Viraben est post-doctorant au sein du projet ANR AmateurS. Il est rattaché au laboratoire TEMOS de l’université du Mans.

Quels ont été votre parcours et vos thématiques de recherche ?

Après une formation en histoire de l’art à l’école du Louvre, je me suis ensuite orienté vers la recherche universitaire, avec l’appui d’un contrat doctoral financé par la communauté d’agglomération de Rouen-Elbeuf-Austreberthe. En novembre 2018, j’ai soutenu ma thèse intitulée Le savant et le profane : Documenter l’impressionnisme en France, 1900-1939.

Mes différentes contributions et articles scientifiques portent essentiellement sur la peinture en France et aux États-Unis dans la seconde moitié du xix^e et au début du xx^e siècle, avec des incursions occasionnelles dans l’entre-deux-guerres. Mon objet d’étude principal est l’impressionnisme français et américain, et mes travaux se rattachent à une histoire assez large de la réception, ou plutôt de la consommation de l’art. Ce domaine me conduit en effet souvent au-delà de l’histoire des collections, des musées, de la critique ou de l’histoire de l’histoire de l’art, vers des formes plus ordinaires d’appropriation des œuvres par les publics.

Comment ce domaine d’étude en est-il venu à croiser la figure de l’amateur ?

Dans les faits, il est parfois commode de distinguer, parmi les historiens de l’art, ceux qui travaillent sur la production et ceux qui s’occupent de la réception de l’art. Ces derniers font alors figure de lecteurs et d’exégètes de textes, qui s’écartent en quelque sorte du rôle traditionnel d’observateur travaillant à l’élucidation d’images.

Lorsque je me suis lancé dans ma thèse historiographique, je me suis retrouvé nez à nez avec ce problème. J’ai donc voulu trouver une manière terre à terre de casser cette séparation entre production et réception. C’est pourquoi j’ai pris le parti de me focaliser sur une dimension « créative » de la réception de l’impressionnisme, ce que j’ai d’ailleurs appelé « la créativité ordinaire de l’histoire », ou encore « la fabrique des documents ». L’idée a été de montrer comment les écrivains de l’impressionnisme se sont employés à mettre au jour et à mettre en valeur visuellement des archives, des objets souvenirs, parfois des sites naturels ou construits, mais aussi à produire des documents photographiques ou cinématographiques. Toute cette fabrication documentaire relève pour moi d’une production visuelle en continu, venant se surajouter aux œuvres passées des peintres.

C’est dans ce contexte que j’ai été amené notamment à élargir le champ de l’historiographie à ses agents non professionnels et en particulier à parler d’« amateurs de documents ». Sous ce terme, j’ai désigné des figures doubles de collectionneur d’archives et d’historien amateur, en l’occurrence de l’impressionnisme, dont les choix d’écriture étaient précisément liés à leur goût pour les objets matériels dont ils étaient les propriétaires.

Aux « amateurs », j’ai bien sûr opposé des « professionnels » du document, des professionnels de l’histoire de l’art, conservateurs de musée ou universitaires. Or, même chez ces derniers, j’ai voulu encore montrer la facette profane de leur activité. Le cas emblématique de cette partie de ma thèse a été celui de John Rewald, qui est toujours aujourd’hui l’un des plus célèbres historiens professionnels de l’impressionnisme, mais dont la démarche scientifique s’appuyait en grande partie sur sa pratique d’amateur de photographies. Sa grande spécialité fut en effet la « chasse » aux motifs impressionnistes, qui consiste à retrouver le site peint dans un paysage pour le photographier. Cette démarche adoptée par l’historien professionnel a ainsi beaucoup à voir avec celle d’un touriste et photographe amateur. L’œuvre de l’historien professionnel et photographe amateur trouve par ailleurs un contrepoint dans la production contemporaine d’historiens amateurs et photographes professionnels, qui employèrent des protocoles similaires pour alimenter cette fois la presse touristique et culturelle.

C’est donc au détour de ce chemin, un peu tortueux, que l’amateur est apparu dans mes travaux. Par la suite, si la popularité de l’impressionnisme a agi dans ma réflexion comme le révélateur de clivages socioculturels entre « sens commun », « intellectuels » et « savants », j’ai voulu reporter mes interrogations sur l’amateurisme au monde artistique de la seconde moitié du xix^e et du début du xx^e siècle. Depuis ma thèse, j’ai donc poursuivi mes investigations sur la question des peintres amateurs pour la période 1850-1950. J’ai été amené par exemple à m’intéresser à plusieurs associations peu connues, telle la Société artistique des amateurs, ou encore aux regroupements professionnels d’artistes amateurs (sociétés artistiques des agents de la Compagnie P.-L.-M., des P.T.T., des employés de la préfecture de la Seine, Salons des médecins, des avocats, des assureurs, etc.).

Au fond, l’amateur, aujourd’hui presque ignoré par les historiens de l’art de l’époque contemporaine, est pour moi une figure intermédiaire idéale pour parvenir à casser cette dichotomie, que j’évoquais au début de ma réponse, entre réception et production artistique, puisque précisément l’accomplissement de l’acte consommatoire de l’amateur aboutit à un acte créatif.

Quels seront vos chantiers de recherche dans le cadre de l’ANR AmateurS ?

Mon principal chantier de recherche dans le cadre de l’ANR AmateurS, en accord avec ma spécialisation sur l’impressionnisme, concerne le plein air. Ce projet reflète aussi bien sûr ma place en tant qu’historien de l’art dans un programme qui a trait à l’histoire des sciences, puisqu’il propose d’étudier la cohabitation de différents amateurismes, artistiques, scientifiques et sportifs, au sein d’un même espace de loisir, le plein air. Il adhère en particulier à la problématique de l’axe 1 d’AmateurS, en se focalisant sur la polysémie du terme et de la figure de l’amateur, dont le versant scientifique ne peut être compris à mon sens sans interroger ses cooccurrences dans d’autres domaines.

La première phase de ce travail consiste en une observation générale, fondée sur une collecte de données bibliographiques. Mon point de départ est, d’une part, la base de données d’AmateurS, que je suis chargé d’enrichir, et, d’autre part, une seconde collection bibliographique, similaire dans son principe, construite autour des expressions « plein air » et « grand air ».

Ce premier temps de ma recherche fournit ainsi un cadre général, tandis qu’une seconde phase de mon travail me conduira à approfondir les manières selon lesquelles les pratiques amateurs se combinent et se complètent. J’ai évoqué par exemple, à l’occasion de notre dernière journée d’étude, l’usage d’instruments combinés permettant aux amateurs de satisfaire en extérieur leurs intérêts tout à la fois artistiques, scientifiques et sportifs.

Enfin, je souhaiterais parachever ce travail sur le plein air par une étude de cas, significative selon moi, celle de la célèbre roseraie fondée par Jules Gravereaux à L’Haÿ-les-Roses en 1894. Lieu d’excursion, lieu de savoir associé à un musée de la rose, cette roseraie fut aussi un lieu de représentation théâtrale, incluant un théâtre de plein air, et de représentation sociale. Elle est une manifestation emblématique du goût du xix^e siècle pour les jardins, et plus particulièrement de la « rosomanie », un domaine hybride mêlant les sensibilités scientifiques et artistiques, animé par des amateurs éclairés et largement consommé par le grand public. Elle m’intéresse donc à divers titres : en tant qu’attraction visuelle, en tant que collection aménagée selon des normes savantes et de goût, et en tant que cadre privilégié d’une production visuelle, artistique, photographique et cinématographique.

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