Albert Maumené (1874-1936) et la photographie sur fruits – Hadrien Viraben

Récréation scientifique autant qu’artistique, la photographie sur fruits semble avoir connu au tournant au xx^e siècle un certain succès auprès d’un public de jardiniers et de photographes. La vogue localisée de cette technique, à la croisée des savoir-faire et des goûts des amateurs, mérite à ce titre d’être rappelée.

Albert Maumené (1874-1936), auteur de plusieurs manuels d’horticulture et de nombreuses chroniques sur le jardinage et la décoration florale, fut le principal vulgarisateur de la photographie sur fruits. Entre 1902 et 1907, il décrivit à plusieurs reprises son mode d’emploi, en s’adressant successivement aux lectorats de revues horticoles, scientifiques ou généralistes : Le Petit jardin illustré, Cosmos, Lectures pour tous, Le Magasin pittoresque, La Vie à la campagne.

Maumené faisait alors remonter l’origine incertaine du procédé au Traité des fruits de Jean-François Couverchel (1839) et aux expérimentations d’un chercheur et « curieux » de Thomery, Baptiste Larpenteur. Ce n’est pourtant qu’en 1894 que l’arboriculteur de Fontenay-sous-Bois, Alexandre Ledoux, se distingua en montrant, lors de l’exposition internationale fruitière de Saint-Pétersbourg, des pommes Grand Alexandre aux armes de la Russie. Leur célébrité se constitua à Paris deux ans plus tard, quand des fruits similaires furent présentés en pyramide à la table du dîner de gala en l’honneur du tsar Nicolas II et de son épouse, invités à Paris pour l’inauguration du chantier du pont Alexandre-III. Ledoux, récompensé lors de diverses expositions de ces réalisations, déposa finalement le 11 novembre 1902 une demande de brevet pour son « procédé de photographie sur fruits ».

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Cette mesure de protection n’empêcha pas la popularité de ce type de décoration, qui envahit durant les mêmes années les restaurants et les catalogues des primeurs et arboriculteurs. En se dispersant, son usage se perfectionna au point qu’en 1906, lors d’une seconde visite de l’empereur de Russie à Compiègne, celui-ci put cette fois admirer sa propre effigie sur une pomme. D’abord exécutées à l’aide de caches découpés dans du papier, de nouvelles illustrations furent obtenues à partir de véritables négatifs photographiques, dont l’emploi s’étendit à toute une gamme de supports et de sujets. Parmi un large éventail de monuments et œuvres célèbres, la reproduction de L’Angélus de Millet semble avoir connu une faveur toute particulière, qui coïncidait et rivalisait avec celle des cartes postales, et autres produits dérivés du tableau.

Le texte d’Albert Maumené, relatant ainsi le succès fulgurant de la photographie sur fruits, fut par ailleurs signalé en 1905 au lectorat de Photo-revue par René d’Héliécourt. Ce dernier avait en réalité évoqué dès 1900 cette technique, plus sérieusement dénommée « photographie pomologique », dans Le Petit photographe. Du point de vue des photographes, l’impression sur fruits avait une saveur singulière. Elle était en effet reliée à un épisode du récit historique du médium, dont l’un des pionniers, Hippolyte Bayard (1801-1887), avait pratiqué ce type de décoration aux côtés de son père, avant de s’en inspirer pour développer son propre procédé photographique. Photographie sur fruits et photographie pomologique s’inscrivaient ainsi dans une double histoire de l’horticulture et de la photographie.

En s’adressant au grand public, Maumené indiquait qu’il s’agissait là d’une fantaisie décorative d’arrière-saison, à réserver aux fruits d’automne et d’hiver, et à ceux dont l’épiderme était le plus photosensible. Ceux-ci devaient être préalablement soustraits aux rayons du soleil par ensachage, avant d’y apposer le modèle à reproduire. Ce dernier pouvait prendre la forme soit d’un cache découpé dans du papier, soit d’un négatif souple et très contrasté, Maumené recommandant en particulier l’emploi d’un papier « vélo-transport », spécialement destiné aux transferts décoratifs sur différents matériaux. Le négatif devait être plongé dans l’eau tiède pour en séparer la pellicule au collodion, appliquée ensuite sur le fruit. Le temps d’impression pouvait alors varier de 8 à 30 jours, selon le support et la technique utilisée.

Comme d’autres « travaux d’amateur » relevant d’une économie domestique au sens large, la photographie sur fruits n’était pas nécessairement dénuée d’un intérêt pécuniaire. Maumené se livra en effet à cet égard à un calcul assez précis du rendement potentiel de cette activité comme revenu d’appoint. À la suite du premier engouement, ce type d’illustration ne pouvait cependant espérer autour de 1907 qu’une plus-value limitée : de 20 à 30 centimes pour un fruit orné d’un monogramme, de 60 centimes à 1 franc pour un fruit illustré d’après un cliché photographique. L’opération était par ailleurs estimée entre 5 et 6 centimes pour l’emploi de caches en papier, entre 20 et 30 centimes en employant des négatifs photographiques, voire 40 à 50 centimes en cas de recours au service d’un photographe.

Tout en trouvant une place parmi les multiples dérivés de la photographie, la photographie sur fruits en appelait en définitive à la combinaison de deux sciences appliquées particulièrement prisées par les amateurs de la fin du xix^e siècle, l’horticulture et la photographie. Le procédé relativement complexe démontrait un savoir-faire technique remarquable, en même temps qu’il dénotait, dans la tradition des décorations florales, d’un savoir-vivre et d’un goût certain.

Illustrations :

Portrait de Nicolas II de Russie reproduit sur une Pomme de Calville, illustration publiée dans Le Petit jardin illustré, 13/09/1902, n^o 462, p. 367.

Série de fruits illustrés, illustration publiée dans La Vie à la campagne, 01/09/1907, vol. 2, n^o 23, p. 156.

Bayard père découvrant le procédé de l’impression sur fruit, illustration extraite de Série encyclopédique Glucq des leçons de choses illustrées : L’histoire de la photographie, Imagerie d’Épinal, Pellerie & Cie (imprimeur-éditeur), vers 1884, chromolithographie.

Procédé de la photographie sur fruits, illustration publiée dans La Vie à la campagne, 01/09/1907, vol. 2, n^o 23, p. 155.

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